Marc-Marie, marquis de Bombelles

général, diplomate et prélat

 

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Le marquis de Bombelles est né le 8 octobre 1744 à Bitche, capitale de la Lorraine allemande, dont le comte de Bombelles, son père était gouverneur. Il fut élevé à la cour du duc de Bourgogne, frère de Louis XVI, où il fut admis au nombre de ses pages. Ce prince lui témoignait la plus intime confiance et la plus grande amitié ; les réflexions et les pensées qu’on a recueillies de lui prouvent que l’esprit et le jugement peuvent quelquefois devance l’âge ; c’est à Monsieur de Bombelles qu’il a dit un mot qui serait profond pour tout le monde, et qui parait prodigieux dans la bouche d’un enfant de quinze ans. On sait que ce prince, d’une complexion délicate, était souvent souffrant ; la maladie dont il mourut ayant pris un caractère sérieux, les courtisans ralentirent leurs visites, et allèrent de préférence chez le duc de Berry, depuis Louis XVI. Un jour que le malade se trouvait dans une solitude complète, il fit signe à son page qu’il voulait lui parler : Bombelles, lui dit-il, sais-tu pourquoi nous ne voyons personne, tandis que la foule se porte chez mon frère ? C’est que c’est ici la chambre de la douleur et chez Berry, c’est la chambre de l’espérance.

Après la mort du prince, Monsieur de Bombelles entra au service. A treize ans il entra, en janvier 1757, dans la compagnie des mousquetaires noirs de la garde dur roi Louis XV, en sortit le 12 septembre 1759, pour passer dans la cavalerie de ligne et fit les trois dernières campagnes de la guerre de sept-ans, tant dans le régiment Colonel-Général cavalerie, que comme aide de camp du marquis de Béthune, colonel-général. On lui donna dans le même temps le commandement d'un détachement de volontaires, qui fit partie du corps commandé par le baron de Verteuil. Il fut blessé à la bataille de Corbach en 1760 et fit d’une manière brillante les campagnes de 1761 et 1762.

La paix signée en 1763, ayant arrêté l'avancement militaire et donné lieu à des dédoublements de régiments, l'amitié que plusieurs colonels professaient pour le marquis de Bombelles, les porta à lui offrir une compagnie dans leurs régiments respectifs. Il donna la préférence au régiment de Bercheny, dans lequel il obtint le commandement de la compagnie colonelle.

Sous les auspices du duc de Broglie et du baron de Breteuil, il entra dans la carrière diplomatique, et en 1765, il fut employé comme conseiller d'ambassade en Hollande, et servit ensuite, en la même qualité, dans les ambassades de France près des cours de Vienne et de Naples. On le nomma colonel à la suite de la cavalerie en mars 1771, et ministre du roi près la Diète de l'empire en 1775. Le 27 mars de cette année, il fut reçu chevalier des ordres de Notre Dame de Mont-Carmel et de Saint-Lazare de Jérusalem, et prêta serment en cette qualité entre les mains de S.A.R Monsieur (Futur Louis XVIII) grand maître de ces ordres.

En 1778 il avait épousé Mademoiselle de Mackau, l’amie intime de Madame Elisabeth, fille de la sous gouvernante des Enfants de France.

En 1779, le marquis de Bombelles fut pourvu d'une commanderie dans l'ordre de Saint-Lazare, sous le titre de la Porte-du-Pin. En 1780, il fut créé chevalier de Saint-Louis.

Il fut nommé brigadier d'infanterie, le 1er janvier 1784, et obtint le 27 février suivant le brevet qui rendit héréditaire dans sa famille une pension sur l'état des garnisons de Bourgogne, qui avait été continuée de père en fils, depuis Henri IV, aux descendants de Jacques de Bombelles, auquel ce souverain l'avait primitivement accordée.

Dans la même année, le marquis de Bombelles fut chargé de diverses missions qui le conduisirent, tant en Angleterre, Ecosse et Irlande, qu'en Allemagne. Mais la première ambassade importante que le marquis de Bombelles obtint des bontés du roi fut celle du Portugal, où il fut nommé ambassadeur le 27 juin 1785. Il y déploya un esprit de conciliation qui aplanit des difficultés graves et reçut des lettres des plus flatteuses du maréchal de Castries et de Monsieur de La Touche, dont celle-ci de ce dernier : on ne peut représenter la nation plus honorablement que vous ne le faites, et nous vous aurons l’obligation de voir le nom français prendre autant de considération en Portugal qu’il en avait peu avant votre ambassade ; vous parviendrez à effacer entièrement du cœur des Portugais les sentiments de défiance qu’ils nourrissaient contre nous avant de vous connaître (..)   Pendant son séjour à Lisbonne, il fut créé maréchal-de-camp, le 9 mars 1788.

 

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Le marquis de Bombelles (à gauche) et ses enfants (à droite)

 

A la suite d’une grave maladie qui mit ses jours en danger, il revint à Versailles et fut bientôt envoyé par S.M Louis XVI à Venise comme ambassadeur extraordinaire (mars 1789), puis, en juillet suivant, à celle de Constantinople. Mais trois jours après cette nomination, faite dans une conjoncture très critique pour le roi, le marquis de Bombelles supplia S.M. de regarder cette disposition comme non avenue. Il partit de Versailles, le 4 août, pour se rendre à Venise, où il remit ses lettres de créance au sénat le 1er octobre suivant. En décembre 1790, étant toujours à Venise, il envoya au ministre sa démission, pour ne pas prêter le serment nommé civique exigé par l'Assemblée Constituante qu’il regardait comme illégale et inconstitutionnelle. C’est à cette époque (5 janvier 1790) qu’il eut l’honneur de recevoir Monseigneur le comte d’Artois à l’hôtel de l’ambassade, et Venise parle encore aujourd’hui du gout et de la magnificence de cette fête. Le 18 mars 1790, il reçut l’ordre de remettre ses lettres de rappel.

Le 25, la reine de Naples, qui retournait dans ses états, et passait par Venise, appela le marquis de Gallo, son ambassadeur à la cour de Vienne, et lui dit : Je vais vous faire faire connaissance avec un homme respectable ; je vous recommande d’avoir les plus grandes attentions pour le marquis de Bombelles, et je veux que tout le monde sache que je l’estime, que je l’honore beaucoup plus que si je l’eusse retrouvé ici comme ambassadeur. Il a tout sacrifié à son devoir ; tôt ou tard il en sera récompensé, cela sera juste ; mais en attendant il doit jouir de toute la considération qu’il mérite. Quelques jours après la reine Caroline insista pour que les enfants de Monsieur de Bombelles lui fussent présentés. Quand Monsieur et Madame de Bombelles se retirèrent, en entrant dans la gondole, ils trouvèrent une lettre avec cette adresse : Aux enfants de l’estimable marquis de Bombelles, ambassadeur du roi de France. Cette lettre était ainsi conçue : Vous avez des parents si respectables que je ne puis vous désirer, mes chers enfants, que le bonheur de leur ressembler, et de montrer dans le cours de votre vie toute l’énergie, le désintéressement et les sentiments qu’ils ont témoignés, et qui leur ont valu l’estime publique, la mienne et tout mon attachement. Comme votre éducation n’est pas encore achevée, et qu’elle exigera quelques frais, j’oserai vous faire toucher, à vous, quatre frères, 12,000 fr par an, à l’endroit où vous résiderez, et jusqu’au moment où vos respectables parents seront de nouveau rentrés dans toutes les charges et emplois dont ils sont si dignes. Ceci est bien éloigné de ce que j’aurais désiré pouvoir faire, mais, ne voulant pas importuner le roi, mon époux, et mes facultés étant restreintes,  j’ai dû me restreindre. Recevez cela avec le sentiment qui me porte à vous l’offrir ; c’est celui de la plus sincère estime et attachement qu’à pour vos respectables parents, et du plus véritable intérêt qu’à pour vous votre éternelle amie. Quand Monsieur de Bombelles dit à la reine, en la remerciant, qu’il n’avait pas mérité tant de bontés puisqu’il n’avait pas servi sa couronne, elle lui répondit d’un air majestueux : Monsieur, vous avez servi la cause de tous les rois.

 

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La reine Caroline de Naples

 

 

Lorsque le marquis de Bombelles eut cessé ses fonctions publiques, S.M. le chargea de traiter secrètement avec des intérêts de sa personne royale et de ceux de sa couronne, tant en 1791, avec l'empereur d'Autriche Léopold, qu'en 1792 avec l'impératrice de Russie, le régent de Suède et la cour de Danemark.. Comme le marquis revenait de ces trois cours du nord, il apprit à Dortsen en Westphalie la catastrophe du 10 août et l'emprisonnement au Temple de la famille royale. Il se rendit alors à Bruxelles, puis en Champagne, où le roi de Prusse le traita sur le pied d'ambassadeur de S.M. Louis XVI. Après la bataille de Valmy, perdue par les prussiens, le 19 septembre 1792, il se rallia au drapeau du prince de Condé.

Depuis le mois d'avril 1791, le marquis de Bombelles vivait des bienfaits de la reine de Naples, qui s'était empressée de venir au secours d'une famille qui avait préféré l'indigence à l'oubli de ses devoirs. Cette générosité lui fit une loi de soumettre ses démarches aux volontés de S.M. Sicilienne, et, en conséquence, il se retira en Suisse, d'où il sollicita à plusieurs reprises l'autorisation de rendre des services militaires. Mais on disposa autrement de son zèle, et à partir de 1794, il eut ordre de faire parvenir dans des dépêches tout ce qui pourrait intéresser la curiosité de la cour de Naples. Il passa ensuite à Ratisbonne, qu'il quitta lors de l'envahissement de la Bavière par les armées françaises en 1797.

Au mois de juillet 1796, il y eut à Dillingen une tentative d’assassinat contre Louis XVIII. Monsieur de Bombelles s’empressa de se rendre auprès du roi, qui le reçut après le premier pansement, et le chargea d’obtenir du baron de Hardenberg qu’il put résider à Bareith, et s’y reposer de manière à accélérer la guérison. Les ordres furent donnés pour qu’on eût tous les égards dus à l’incognito de Louis XVIII. Ce prince fut autorisé à séjourner à Bareith et cette petite négociation de Monsieur de Bombelles eut le même succès que que toutes celles qu’il avait conduites dans ses diverses ambassades, et qui avaient une bien autre importance.

La médiocrité dans laquelle l’avait placé la démission qu’il avait noblement donnée, se changea en une détresse complète, lorsque les circonstances eurent forcé le reine Caroline de suspendre le paiement de sa pension. Ce fut alors qu’il quitta la Bavière pour la Moravie, où l’on peut vivre à des conditions plus modérées. Après quelques mois de séjour à Brünn, il partit pour l’armée de Condé, qui était alors à Prüting. Quelque temps après son arrivée, son vieux général, instruit que Madame de Bombelles était sérieusement malade, lui fit entendre que ses enfants avaient besoin de sa présence. Il partit le jour même mais, hélas ! il arriva trop tard ; cette femme adorée, le modèle de toutes les vertus, l’amie de Madame Elisabeth, mourut en couches le 30 septembre 1800, et son infortuné mari, qui eut la douleur d’apprendre par une feuille publique cet affreux évènement, ne fut de retour à Brünn que dans les premiers jours d’octobre.

En effet, durant leur séjour à Wardegg, près du lac de Constance, où le marquis s’occupait de l’éducation de ses enfants, le couple avait appri, au mois de juin 1794, que Madame Elisabeth avait péri de la même mort que le roi martyr et Marie-Antoinette. Madame de Bombelles fut comme foudroyée par cette affreuse nouvelle et tomba dans une mélancolie profonde.

Louis XVIII ayant appris la perte cruelle que venait de faire Monsieur de Bombelles, lui écrivit la lettre suivante : Mittau, 30 octobre 1800 Le comte d’Avaray m’a communiqué, monsieur, votre lettre du 9 de ce mois. Je prends une part bien sincère à votre juste douleur ; heureux si je puis l’adoucir un jour en prouvant mes sentiments aux enfants de l’amie de ma sœur. Vous connaissez, monsieur, tous les miens pour vous.

Après ce coup affreux qui venait de briser son âme, Monsieur de Bombelles sentit ses forces défaillir. Fatigué des agitations et des chances de la vie, il prit en 1803 l'habit ecclésiastique, célébra sa première messe le 15 août 1803 et se retira dans un couvent à Brunn en Moravie. Il obtint le 8 août 1806 la cure d’Opperstorf en Silésie prussienne. Peu après il eut la douleur de perdre son second fils,  tué au siège d’Ulm. Au retour des Bourbons, il obtint en juin 1814 un congé pour retourner en France. Il y fut accueilli par son souverain comme il méritait de l’être.

Quand Napoléon arriva de l’île d’Elbe, le marquis de Bombelles quitta Paris le 20 mars 1805 et retourna en Silésie. C’est à cette époque qu’il eut le chagrin de perdre le dernier de ses fils qui se destinait à l’état ecclésiastique. A la seconde restauration il donna sa démission de la prélature. Il obtint, en 1816, la place de premier aumônier de S.A.R. Madame la duchesse de Berri.

Le roi le désigna le 20 août 1817 pour occuper le siège épiscopal d’Amiens et il fut sacré évêque le 3 octobre 1819 ; il conserva entre autres habitudes de cour ou de caserne, celle de danser en dépit de sa soutane violette et d'écrire tous les soirs les historiettes plus ou moins édifiantes qui avaient cours de son temps. A force de les collectionner il en eut plus de 80 volumes manuscrits [1]. C'est lui aussi qui, pour rappeler qu'il avait été maréchal des camps, fit poser sur sa mitre les deux étoiles d’argent, insigne de son ancien grade.

 

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Nous trouvons dans les souvenirs de M. Denormandie l’anecdote suivante : Un soir, le marquis de Bombelles, alors évêque d’Amiens, accompagné de deux jeunes officiers, allait entrer dans le salon d’une ambassade, quand l’huissier lui demanda son nom : « annoncez l’évêque d’Amiens et ses deux fils » dit-il, mais en présence de l’air effaré de l’huissier il reprit : « annoncez l’évêque d’Amiens et les deux neveux de son frère ».

Il mourut au palais de l’Elysée, résidence de la duchesse de Berry, le 5 mars 1822. Le jour de son convoi funèbre on a pu juger de l’amour qu’il avait su inspirer aux habitants d’Amiens qui venaient prier sur sa tombe comme on vient prier à l’autel.

Il laissait quatre enfants :

1.    Louis Philippe, comte de Bombelles, diplomate autrichien, marié en 1816 à Ida Brun, femme de lettres.

2.    Charles-René, Chambellan de l’empereur d’Autriche, conseiller privé et grand maître de la cour de Marie-Louise, dont il deviendra le troisième mari.

 

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Charles-René, comte de Bombelles

Troisième mari de l’impératrice Marie-Louise, veuve de Napoléon

 

3.    Henri François, officier et diplomate, gouverneur de l’empereur d’Autriche François-Joseph après avoir exercé les fonctions d’attaché à la légation impériale à Berlin et de chargé de mission au Portugal et en Sardaigne

4.    Marie Caroline, mariée à François de Biaudos, vicomte de Castéja. Son père, déjà évêque d’Amiens, voulut lui donner en personne la bénédiction nuptiale. Il fit transformer en chapelle la salle à manger de son hôtel, situé rue de la Ville-l’évêque à Paris, et ce fut là qu’il bénit le mariage de sa fille, dit la messe, et prononça une allocution qui émut jusqu’aux larmes toute l’assistance.

 

 

 

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Marie Caroline de Bombelles, vicomtesse de Castéja, et sa belle –sœur Ida Brun

 

 

Sources :

Dictionnaire historique et biographique des généraux français tome second

Intermédiaire des chercheurs et curieux 1896 p485

Marie-Louise et le duc de Reichstadt (Arthur de Saint-Amand)

Mémoires, souvenirs, œuvres et portraits par  Alissan de Chazet



[1] Le cinquième tome du Journal du marquis de Bombelles donne à voir les pérégrinations d'une famille d'émigrés entre 1795 et 1800. Installés à Ratisbonne, les Bombelles fuient la progression des armées françaises et trouvent difficilement un refuge dans la petite ville de Brünn en Moravie, "cul-de-sac" de l'Europe, où le marquis connaîtra l'ennui, l'oisiveté et l'hostilité des autorités autrichiennes. Ces années signent le terme de la Révolution et, d'emblée, le retour de nombreux émigrés. Rien ne peut fléchir la foi monarchique de Bombelles, même si les chances d'une restauration du roi semblent s'éloigner, alors qu'un nouveau venu fait une apparition fulgurante sur la scène politique, le général Bonaparte. La plus cruelle épreuve pour le marquis sera la mort de sa femme en septembre 1800. A ce drame personnel s'ajoutent l'agonie du corps de Condé auquel il avait tenté de s'agréger, les soucis financiers et l'avenir compromis de ses fils.