Judith de Nevers, dite Mlle Guyot

Sociétaire de la Comédie-Française (13e) en 1680




Judith de Nevers, plus connue sous le nom de Mademoiselle Guyot (ou Guiot) est une comédienne française, baptisée à Châlon-sur-Saône, le 13 décembre 1638 (voir ici) et morte à Paris, le 30 juillet 1691. Son parrain était Etienne Burgat, bourgeois de Châlon, et sa marraine était Judith Perrault, veuve de Guillaume Marlou ou Malloud. .

Les articles qui lui sont consacrés dans les biographies publiées démarrent plus tard et sont pour ainsi dire tous identiques à celui-ci :
L'amour décida de sa vocation. Vers 1671, s'étant éprise d'un comédien nommé Fiacre Castéja, qui donnait quelques représentations à Châlons-sur-Saône, elle ne trouva rien de mieux à faire, pour ne pas se séparer de celui qu'elle aimait, que de s'engager dans la troupe à laquelle il appartenanit. Elle y débuta ; quoique devenue enceinte, et malgré une promesse de mariage contractée devant le vicaire général de Châlons-sur-Saône, le 6 septembre 1672, les deux amants restèrent séparés. Pour se consoler, sans doute, elle entrait dans la troupe du Marais, où elle prit le nom de Guyot. Elle se passionna bientôt pour un de ses camarades, nommé Guérin d'Estriché ; mais cette passion n'eut pas un meilleur sort que la première, car Guérin épousa bientôt Elisabeth Béjard, veuve de Molière. En 1673, Mlle Guyot passa dans la troupe du Palais-Royal, et fut conservée lors de la réunion de cette troupe avec celle des comédiens du roi (5 janvier 1681. Congédiée par ordre royal le 19 juin 1684, elle fut mise à la pension de mille francs le 5 avril 16855, lors du nouveau réglement que la dauphine imposa aux comédiens français. Mlle Guyot fut de plus chargée du contrôle de la recette, aux appointements de tros livres par jour. Elle sut rendre ce modeste emploi très lucratif, et avait amassé une fortune assez ronde, lorsqu'un jour, étant à cheval et rentrant dans sa maison, elle n'eut pas la précaution de baisser la tête, et se heurta si violemment contre le fronton de la porte qu'elle en mourut quelques jours après. Dans son testament, daté du 27 juillet 1791, elle dit que "pour satisfaire à l'acquit de sa conscience ette institue les comédiens français ses légataires universels", leur retituant ainsi une partie de ce qu'elle leur avait dérobé. On ne peut mieux juger de son talent par ces vers qu'on fit sur elle en 1680 :
De la Guyot je ne vous dirai rien,
De tout ce que j'en sais on doit faire mystère ;
Quand on ne peut dire du bien,
On fait beaucoup mieux de se taire.

Ces vers ont été interprêtés par d'autres comme témoignage d'une vertu peu farouche. Tous ces articles s'articulaient, en fait, sur une permission de mariage donnée le 6 septembre 1672 par le vicaire général, et rapportée par les frères Parfaict dans leur Histoire du Théâtre français (1747, Tome XII) et ainsi conçue : « Cette permission de mariage est donnée à Fiacre Casteja, engagé dans une troupe de comédiens, qui convient que Judith de Nevers, native de Châlons-sur-Saône, étant dans la même troupe, était enceinte de son fait, et nous a fait voir qu'il n'était point engagé par mariage et voulait bien mettre à couvert l'honneur de la dite Judith. »

Or, comme le fait remarquer Jules Bonnassies dans son histoire administrative de la Comédie française (1874), « les frères Parfaict ne se donnent jamais la peine de consulter les documents originaux, et citent inexactement, ainsi qu'il est d'habitude en ce temps, la précision historique étant qualité toute moderne. »

On en a la preuve ici-même, car c'est en 1666, le 7 janvier, que Judith de Nevers et le sieur de Castéja (Fiacre de Biaudos ; voir ici) contractèrent mariage à Paris par devant maître Charles de Hénault (AN MC/ET/LXXXVII/205). Nous pensons que le mariage ne fut pas sacralisé par l'église puisque le dit sieur de Castéjà se maria l'année suivante (14 décembre 1667) avec Jeanne de Guillerme.

En mars 1845, J. Faguet fit paraître dans le Journal de la Côte d'Or un feuilleton intitulé "Mademoiselle Guyot - 1684" imaginant la rencontre entre la comédienne et Castéja, revenu après dix ans d'absence, lui demander d'honorer la promesse de mariage. Le roman est peu crédible, mais amusant à lire (voir ici et 5 parutions suivantes)

Rappelons ici qu'en 1654, l'archevêque de Paris désigna à son tour les comédiens comme pécheurs publics les privant dans son diocèse de certains droits, comme le parrainage et les funérailles et sépulture chrétiennes, et certains sacrements, en particulier de la communion eucharistique. La privation du sacrement de mariage ne fut ajoutée qu'en 1695 par l'archevêque de Paris.

Si la carrière de Judith de Nevers est assez bien connue à partir de 1673, année de la mort de Molière, nous avons assez peu d'éléments pour les années antérieures.

Revenons un peu en arrière : En 1658 Paris possédait deux troupes françaises permanentes : les Comédiens de l'Hôtel de Bourgogne, siégeant rue Mauconseil et rue Françoise ; ils avaient depuis longtemps obtenu l'autorisation de porter le titre de Troupe Royale et recevaient une pension (subvention) annuelle de 12 000 livres. Ce théâtre était renommé pour les représentations de la tragédie. Le second datait du commencement du siècle ; c'était le théâtre du Marais, situé d'abord à l'hôtel d'Argent, au coin de la rue de la Poterie, près de la Grève, puis rue Michel-le-Comte, et plus tard rue Vieille-du-Temple, entre les rues de la Perle et des Cultures-Saint-Gervais, où il se trouvait en 1658. Il avait pris la spécialité des pièces à spectacle ou, comme on disait alors, de machines que sa scène, relativement spacieuse, lui permettait de monter. Molière vint en fonder une troisième ... Elle débuta le 24 octobre et obtint l'autorisation de s'intituler Troupe de Monsieur, frère unique du Roi (elle deviendra la troupe du Roi en 1665).

A propos de Judith de Nevers, on peut lire dans la fameuse comédienne, dont nous parlerons plus loin, que «  On la voit en 1658, à Rouen, dans une pièce de Psyché, représentée par la troupe encore nomade de Molière, et qui n'était pas, on le pense bien, le Psyché de 1670. Depuis, on la perdit de vue jusqu'à son entrée dans la troupe du Marais en 1670. »

La troupe de Molière était alors considérée comme la meilleure "troupe de campagne" du royaume. Elle s'était rendue à Rouen d'où Molière et Madeleine Béjart pouvaient faire aisément des allers et retours à la capitale, afin de trouver une salle et de s'assurer les appuis nécessaires pour s'y implanter. La troupe y resta plus de cinq mois. Nous ignorons depuis quand Judith faisait partie de la troupe de Molière qui, depuis 1652, passa l'hiver à Lyon jusqu'à son retour à Paris. Etait-elle avec la troupe à Pézenas durant l'hiver 1655-56, à Bordeaux durant l'été et la plus grande partie de l'automne de 1656, à Béziers quand Molière présenta le dépit amoureux en décembre 1656, à Grenoble durant le carnaval de 1658 ? Nous l'ignorons, mais étant née en 1638, elle aurait été bien jeune !

Il n'est pas exact de dire qu'on la perdit de vue jusqu'à son entrée dans la troupe du Marais en 1670, puisque nous possédons plusieurs documents la situant antérieurement. Tout d'abord le contrat de mariage passé le 25 février 1662 par devant Daubanton, notaire à Paris, entre Martin Gaudeau et Marie-Anne de Vallance (MC/ET/LIII/39). Notons que, bien que ce ne soit pas précisé, la future est certainement comédienne car elle habite dans le marais du Temple, à deux pas du théâtre du Marais ; le futur n'est pas comédien mais bourgeois de Paris, huissier audiencier en la cour des monnaies. Judith de Nevers, dont l'adresse n'est pas précisée, appose sa signature en tant que témoin. Elle est qualifiée "fille majeure jouissant de ses biens et droits" (la majorité pour les femmes était à 25 ans, elle n'en avait que 24 !).

Ensuite, nous avons le contrat de mariage du 7 janvier, déjà évoqué. Elle y est qualifiée fille majeure jouissant de ses biens et droits fille de messire Claude de Nevers écuyer seigneur du dit lieu et damoiselle Elizabeth Guyot jadis sa femme, ses père et mère, demeurante à Paris rue du Poitou, marais du Temple, paroisse Saint Gervais. Son lieu d'habitation, dans le Marais du Temple, permet d'envisager un emploi dans la troupe du Marais, car on sait que les acteurs des troupes de campagne venaient à Paris en avril-mai pour y étudier les pratiques nouvelles et décrocher éventuellement un rôle.

Le 30 mars de la même année 1666, elle signait avec d'autres comédiens, par devant maître Jacque Vincent, un contrat de société d'une troupe de comédiens de campagne « pour jouer ensemble pendant deux ans dans les villes choisies à la pluralité des voix de leur compagnie » (MC/ET/LII/68) Il s'agissait là de l'association de Vincent Dubourg, dit Jolimont et de Jean Mignot, dit Mondorge, donnant leur nom à cette troupe parfois dite "de Jolimont et Mondorge".

Cette troupe donna donc des spectacles en province, et notamment à Nîmes où Judith eut un sérieux différent avec le comédien Froche, de la même troupe. Ceci est consigné dans un acte passé chez Dugal, notaire royal à Nîmes, le 31 décembre 1666. La plaignante est qualifiée « damoiselle Judith de Nevers, femme de M. Casteljac (Casteja), comédien de la troupe de Monseigneur le duc d'Orléans. » (Minutes de Dugal, T.I, f°205). (La troupe de Monsieur, article paru dans le Revue du Midi du 1er semestre 1893 dans lequel l'auteur de l'article donne une identification erronée à la dite Judith de Nevers et à son mari !). Ce qui nous ramène à la troupe de Marais ! Rappelons que Fiacre de Castéja était avant tout sous-lieutenant au régiment d'Auvergne, régiment alors non employé sur les champs de bataille, lui laissant loisir de s'adonner au théâtre. Il n'est pas cité parmi les témoins présents chez maître Dugal, ce qui laisse confirmer qu'il n'avait pas joint la dîte troupe mais était resté à Paris, dans la troupe de Monseigneur le duc d'Orléans (Philippe de France, aussi dit Monsieur).

Judith de Nevers poursuivit sa carrière de comédienne de campagne, tandis que le sieur de Castéja était entrainé avec le régiment d'Auvergne dans la guerre de dévolution. Ses états de service mentionne sa présence au siège de Lille en août 1667.

La troupe dans laquelle Judith jouait était en Savoie durant l'hiver 1671-72. Elle était composée des nommés d'Estriché, de Rochemore, de La Guiot, de Mignot, de Chateauvert, de Rosanges, de Valois et des femmes de ces quatre derniers. Le duc de Savoie la constitua « la troupe de nos comédiens pour nous servir dorénavant, aux honneurs, prééminences, prérogatives, privilèges et autres choses en dépendants et avec les gages qui à part leurs seront établis. » Il est probable qu'à cette époque Guérin d'Estreché devait déjà être l'amant de Judith.

Tous deux revinrent à Paris l'année suivante, et furent engagés dans la troupe du Marais. Molière mourut le 17 février 1673. Sa troupe continua de jouer jusqu'à la clôture habituelle, qui eut lieu le 21 mars. Le 3 mai, un contrat d'association fut signé entre la troupe du Marais et les restes de la troupe de Molière. Le 25 mai, fut créée au Marais la tragédie Germanicus dans laquelle Judith tint un rôle. Dans un témoignage du gazetier Robinet, en date du 3 juin, on pouvait lire ces vers :
Et qu'enfin, l'actrice nouvelle,
qui mademoiselle Guyot s'appelle,
encore qu'elle ayt peu d'emploi là,
s'entend dans cette Pièce-là,
Ne laisse pas d'y fort paraître,
Et de faire aisément connaître,
Qu'elle a l'air, l'esprit, et la voix
Pour remplir les plus beaux Emplois
Qu'au Théâtre, l'on distribue.
De tant de grâce elle est pourvue,
Que, partout, elle a fait grand bruit,
Et l'un de mes Amis m'a dit
Qu'il fut exprès, en conscience,
Pour la voir, huit jours à Valence.


Le 23 juin un contrat attribuait les parts aux comédiens de cette troupe : en tout vingt-un sociétaires ayant ensemble dix-sept parts et demie ; Judith en reçut une. La troupe s'installa à l'hôtel Guénégaud (jeu de Paume de la Bouteille) le 9 juillet et rouvrit par le Tartuffe. Les avis sont partagés pour savoir si c'est Guérin qui fit entrer la Guyot, bien que médiocre comédienne, ou la Guyot qui fit entrer Guérin, quoique médiocre comédien !

La présence de Guérin fit bientôt naître une rivalié entre Mademoiselle Guyot et Mademoiselle Molière. Celle-ci sembla voir d'un fort bon œil le nouveau camarade "grand et bien fait" et Guérin, de son côté fut sensible aux charmes de la jeune veuve, tant et si bien que les deux femmes, également éprises, rivalisèrent farouchement.

Le 6 avril 1674, Mlle Guyot perdit une demi-part; La Grange, le directeur de la troupe, qui parle deux fois de cette dégradation, dit, la première, qu'elle fut décidée par Mgr Colbert, la seconde, par la Troupe. En conséquence, il y eut dix-sept parts.

Le 16 janvier 1675, un arrêt du Parlement réglait un différend survenu entre les comédiens du théâtre Guénegaud et les sieurs d'Auvilliers et du Pin. Dans la longue liste des intimés et défenseurs, "Judicq de Nevers-Guyot" est citée parmi les comédiens et comédiennes adjoints. On trouve chez Campardon (Les comédiens français de la troupe française, 1879) l'explication des évènements qui donnèrent lieu à cet arrêt : La troupe formée en 1673 avec les débris de celle de Molière et quelques comédiens venus du Marais, était loin de former un ensemble satisfaisant et, dès les premiers jours, des symptômes de division se manifestèrent surtout parmi les femmes, qui jalousaient Melle Molière, à qui les évènements avaient donné le premier rang. En outre le succès ne répondait pas aux efforts des nouveaux associés qui, pendant une année entière, durent jouer devant une salle à peu près vide. Dans ces graves conjonctures, Thomas Corneille proposa aux comédiens un ouvrage de sa façon intitulé Circé. Cette pièce nécessitait d'assez fortes dépenses de mise en scène qu'une partie des acteurs se résigna à supporter mais que d'autres, tels que d'Auvilliers, du Pin et leurs femmes, ne voulurent pas accepter. Les deux machinistes de la troupe, le marquis de Sourdeac (concepteur des machines volantes) et Coste de Champieron, appuyaient la résistance et excitaient les comédiens les uns contre les autres, espérant ainsi arriver à faire rompre la société et reprendre le théâtre pour leur propre compte.

On trouve à la date du 3 avril 1675 une quittance par Judith de Nevers-Guyot et les autres comédiens et comédiennes de la Troupe du Roi, de 11 501 livres pour l'achat du principal de 550 livres faisant partie des 700 livres de rente constituée par les dits comédiens par acte du 15 juillet 1673 (MC/ET/CXIII/79).
Et le 27 avril, la troupe crée une pension viagère de 1 000 livres au profit d'Achille Varlet, aussi comédien du roi, quittant la troupe. Judith de Nevers, dite Guyot, est dite demeurer rue Guénégaud (MC/ET/CXIII/121).

En 1677 Judith jouait le rôle de Mathurine dans Don Juan. Avec les autres comédiens de la troupe, elle recevait quittance du sieur Boudet, le 17 mai, de 3 317 livres pour le rachat de 150 livres de rente restant dues des 700 livres de rente constituées au sieur Boudet par la dite troupe (MC/ET/CXIII/84/A). Le 31 mai, Guérin d'Estriché épousa Armande Béjart, la veuve de Molière. « Guérin avait aimé la Guyot de bonne foi : mais comme il n'est rien que le temps n'use, il commençait à n'avoir plus pour elle qu'une bonne amitié pleine de froideur, qui est la suite ordinaire des longues habitudes. » (La fameuse comédienne). Ainsi, la deuxième passion de Judith n'eut pas un meilleur sort que la première !

Au terme d'une convention du 1er mai 1678, Judith de Nevers-Guiot consentit, avec les autres membres de la troupe des comédiens du roi, de la rue Mazarine, à ce que Marie-Angélique Gassot, l'une des comédiennes de la troupe, reçoive une demi-part, au lieu du quart de part qui lui avait été accordée par les actes de société des 3 mai 1673 et 23 mai 1673 (MC/MI/RS/69).

Le 8 mars 1679, la troupe entière des comédiens du Roi, établie rue Mazarine, arrêtait le compte de Charles Varlet, sieur de La Grange (leur directeur), depuis le 3 février 1675, jusqu'à ce jour, à 14 406 livres 10 sols pour les recettes et 14 187 livres pour les dépenses (MC/MI/RS/696). Un acte passé le 12 avril suivant devant Dionis et Loyer pour la création pour vingt ans d'une nouvelle société, composée de tous les comédiens de Guénégaud et de Mlle de Champmeslé et son mari, associés avec eux pour compléter leur troupe, définit les modalités. Le loyer et les frais seront payés en commun. Chacun se fournira d'habits. Judith aura ½ part (MC/MI/RS/697).

En 1680 Judith jouait au théâtre de Guénégaud le rôle de Lisette dans L'Ecole des Maris de Molière créée le 9 septembre. Une lettre de cachet de Louis XIV fonda la Comédie-Française le 21 octobre par la fusion des deux troupes de comédiens français à Paris. La compagnie comprenait vingt-sept acteurs et vingt et une part et un quart. Le 5 janvier 1681 fut signé un acte d'association entre les comédiens de l'Hôtel de Guénégaud et de l'hôtel de Bourgogne, dont Judith Nevers dit Guyot. Cet acte portait approbation des ordres du Roi sur la réunion des deux troupes et arrêtait les modalités des pensions des comédiens (MC/MI/RS/703). La première représentation des deux troupes réunies fut le 14 avril.

Marc-Antoine Charpentier composa des airs pour quatre voix, choeurs et « simphonies » pour la reprise, le 19 juillet 1682, d'Andromède, la tragédie à machines de Corneille (H 504), au Théâtre de l'Hôtel Guénégaud, sous la conduite du sieur Dufort, ingénieur et machiniste des comédiens du roi. De juillet 1682 à avril 1683, Judith, que Charpentier désigne par erreur "M.elle Dyot", qui en était la voix soprano (première ligne sur la partition ci-dessous), chanta le rôle de Melpomène. Guérin d'Estriché et La Grange étaient les ténors, Varlet et Hubert les basses.



L'Amante amant, comédie en cinq actes et en prose, de Campistron fut représentée pour la première fois le 2 août 1684 et la dernière représentation le dix septembre. La pièce dût son grand succès au travestissement sous lequel paraissait le principal personnage. Mademoiselle Guyot, qui joua ce rôle, y fut très applaudie, et s'acquit même de la réputation, n'ayant jusqu'alors passé que pour une médiocre actrice (frères Parfaict). On dit que Campistron écrivit cette pièce en quinze jours pour consoler une comédienne (Judith) fâchée de n'avoir pas eu le premier rôle dans sa pièce La femme juge et partie qu'on venait de jouer.

En 1685, pendant la clôture, le 5 avril, Judith et trois autres furent mise à la pension de mille francs lors du nouveau règlement que la dauphine imposa aux comédiens français. Elle fut en plus chargée du contrôle de la recette, aux appointements de trois livres par jour, en remplacement de Mlle Hubert quand celle-ci se retira de la scène le 14 avril 1685. Ainsi, elle figure au « Controlle » dans la liste des « frais ordinaires » pour la saison 1685-86 (Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française, R17, Registre 1685-1686, s.p.). Elle sut rendre ce modeste emploi très lucratif.

Judith de Nevers exerça cet emploi jusqu'au 8 juillet 1691, qu'elle se blessa à la tête si dangereusement que les chirurgiens jugèrent qu'elle ne pouvait revenir. On dit qu'étant à cheval et que voulant rentrer dans sa maison, le cheval passa dans l'allée si brusquement, qu'elle rencontra une poutre contre laquelle sa tête porta. Elle avait déposé quelques jours avant son testament olographe instituant les comédiens ses héritiers (MC/ET/XLIV/113). Elle ne laissa pas le souvenir d'une très grande comédienne.

Son testament était conçu en ces termes :
« Le donne mon âme à Dieu et mon corps à la terre ; et pour satisfaire à l'acquit de ma conscience, j'institue Messieurs les Comédiens mes légataires universels, les priant d'avoir pitié de mes parents, de faire prier Dieu pourle repos de mon âme, et de me faire enterrer sans cérémonie. Telle est ma dernière volonté, et mon testament de mort, fait ce 27 juillet 1691. » Et il était signé Judith de Nevers Guyot. A la mort de Mademoiselle Guyot, qui survint le 30 du même mois, les Comédiens acceptèrent le legs, mais avant d'en être en possession, ils essuyèrent un procès qui leur fut intenté par Claude de Nevers, maître tonnelier à Orléans, Jean de Nevers, comédien du roi de Danemark, et Louise de Nevers, femme d'André Raison, maître serrurier à Paris, frères et sœur de la défunte. On trouve également un plaidoyer de M. Maboul, procureur général aux Requètes de l'Hôtel pour Elisabeth de Nevers et Simon Duvern son mari, en cassation du testament (Catalogue des factums Thoisy, 79, f°351. Ces derniers furent déboutés de leur opposition et le legs confirmé aux comédiens par sentence du 30 juin 1692. Par charité les comédiens donnèrent quelque chose à Claude de Nevers. L'inventaire après décès fut dressé le 4 août à la requête de Claude de Nevers et de Louise de Nevers, en présence de Charles Varlet, Lean Le Comte et Jacques Raisin, agissant pour la troupe des Comédiens français, sa légataire (MC/ET/XLIV/113).

Plusieurs historiens pensent, non sans vraisemblance, qu'elle est l'auteur du célèbre pamphlet publié en 1688 contre Mlle Molière sous le titre La fameuse Comédienne, ou Histoire de la Guérin, auparavant femme et veuve de Molière. Il est vrai que La Guyot avait des raisons d'en vouloir à sa rivale ! Bonnassies commence par exclure qu'elle puisse être l'auteur du livre, au motif crûment misogyne que « la vengeance n'aurait pas attendu si longtemps chez une femme, surtout chez Mademoiselle Guyot, qui était une espèce d'amazone », mais il écrit pour finir que « parmi ceux qui ont été soupçonnés de l'avoir écrit ou d'y avoir eu part, c'est Mademoiselle Guyot, aidée peut-être de la Chasteauneuf, qui nous paraît la moins invraisemblable ».